lundi 14 août 2017

Quelques pas sur la Côte-en-dehors de Belle-Île

Dans le cadre du festival du Borduchamp à Borchudan, près de Locmaria, je présente "Hymne à la Lande", une évocation botanique et littéraire d'un écosystème bellilois remarquable. 
Ce milieu naturel a été en effet transformé en véritable agrosystème par les insulaires. Ils ont su pendant un millénaire tenir compte de la capacité d'auto-régénération de l'Ajonc et de la Bruyères, pour l'exploiter durablement, aussi bien comme bois de chauffage, litière, fourrage et même engrais. Les bruyères, très mellifères sont une ressource largement exploitée par la petite abeille noire d'Armorique. 
bruyères vagabondes devant Men Brirh
Les explications de ces particularités sont illustrées par des textes poétiques de Pierre Lieutaghi, un botaniste né à Quimper et spécialiste des relations entre les plantes et les hommes.
Cet Hymne à la Lande permet d'apprécier, d'une part les aspects culturels originaux du milieu agricole insulaire des siècles passés, mais aussi de réaliser que la Lande, qui a fortement régressé dans le massif armoricain, reste encore très présente dans les paysages bellilois dont elle renforce la beauté. 
Callune commune
Les espèces les plus représentées sont : l'Ajonc d'Europe (Ulex europeaus), son écotype de bord de côte l'Ajonc d'Europe maritime (Ulex europeaus subsp. maritimus), un peu en retrait (à partir de 300m), l'Ajonc de Le Gall (Ulex gallii), Les Bruyères vagabondes (Erica vagans), cendrées (E. cinerea), cilliées (E. cilliaris) et la Callune comme (Calluna vulgaris).

Il s'agit d'une Lande primaire littorale 
Elle s'est établie quand Belle-Île s'est détachée du continent, suite à la fonte des glaces et la montée des eaux, il y a 7.000 ans environ. On la dit « climacique », c'est à dire qui évolue dans la mesure où les conditions écologiques restent stables.
L'augmentation du nombre de goélands oblige les nouvelles colonies à nicher sur ces landes car les sites plus près de la mer sont tous occupés commence à modifier le milieu. Leurs déjections apportent de l'azote, ce qui favorise la venue de plantes nitrophiles qui concurrencent les plantes indigènes.


Cela dit, l'ensemble du littoral de la Côte-en-dehors présente un extraordinaire panorama de landes variées, particulièrement spectaculaire, là ou les fleurs jaunes des Ajoncs de Le Gall, fait flamboyer les teintes cuivrées des Bruyères.

Les représentations se situent en complément du programme "Ô mon jardin, Ô ma merveille" présenté par Michel Denance et auront encore lieu jeudi 17, vendredi 18 et samedi 26 août.




jeudi 10 août 2017

Quelques pas avec Do Spillers (3ème partie)

L’enthousiasme du Jardinier est contagieux : comment ne pas admirer l’inventivité dont fait preuve telle plante pour se reproduire, conquérir le terrain, apprendre à se cacher durant les périodes difficiles et renaître quand les circonstances redeviennent favorables. Les plantes, fleurs et arbres, se muent sous nos yeux en un véritable peuple, le végétal alternant stratégies à long terme et coups de génie tactique au profit de l’espèce : la survie comme seul mot d’ordre.

La variété des parterres, la luxuriance des herbes, des fleurs, des buissons de toutes espèces,… peuvent laisser croire à une promenade au cœur d’un jardin tropical de toutes les couleurs. La pourpre des digitales, le safran des pavots de Californie, le bleu des lavandes des Canaries, les nuances mauves des giroflées arbustives ou des géraniums de Madère, nos yeux en prennent plein la vue ! Tout comme les insectes que les plantes ont littéralement appris à utiliser au profit de leur descendance.
Et hop ! Nouveau bond en arrière, juste 125 millions d’années, pour assister en direct – et en Technicolor, s’il vous plaît ! – à l’invention des pétales. Un véritable coup de génie végétal que cette trouvaille des plantes à fleurs qui, jusque là, ne comptaient que sur le vent pour disperser leur pollen !

C’est là que le nombre de plantes à fleurs explosé. Variations de couleurs à l’infini, de formes, de parfums,… tout pour séduire, appâter et même récompenser à coups de nectar papillons, guêpes, bourdons, abeilles ou petits oiseaux. Depuis, chacun y trouve son compte, certaines fleurs ont littéralement transformé la zone d’atterrissage en enseigne de bar, boissons en libre service à l’intérieur ! A l’entrée ou à la sortie du débit de boisson, l’insecte se trouve chargé de pollen… qu’il transportera gratuitement jusqu'aux organes femelles de la prochaine fleur. Merci l’insecte !
Au bout du compte, une descendance : des graines. Quelques unes seulement, ou parfois des centaines. Petit coup de chapeau au pavot somnifère  (Papaver somniferum L. ), détenteur du record en nombre de graines par fleur !

Ici, les vipérines géantes1 se croient à Madère ou aux Canaries : elles montent à plusieurs mètres ; là, tout à côté de la maison, un palmier de 6 mètres planté il y a plus de 30 ans porte sur son « tronc » une orchidée épiphyte2 qui se trouve là aussi heureuse que sous les tropiques. Il faut dire que jardinier d’ici n’est pas revenu les mains vides de là-bas. Toutes les plantes qui nous entourent sont issues de ses propres graines, parfois de boutures ou semis offerts par des amis. Monsanto et Bayer ne font pas fortune avec lui !
Chaque fleur, chaque buisson, chaque arbre a une histoire à raconter. Et le Jardinier traduit pour nous la parole de la fleur, du buisson, de l’arbre. Chaque plante à quelque chose à nous dire à propos de ses origines, de son passé lointain3, du pays d’où il ou elle vient4, de la région du globe d’où un explorateur5 l’a rapportée pour la première fois, des soins que le Jardinier lui a prodigués pour qu’elle profite de l’étonnant climat de Belle-Ile-en-Mer où il a choisi de l’installer.
Dans le jardin qu’il partage avec nous, en ce matin de juin : L’Eden du Voyageur.

À Belle-Ile-en-Mer, le 25 juin 2017.
« Loin, très loin…, là-bas au cœur de la savane, vivait un arbre plus grand et plus vieux qu’aucun autre arbre. Et sous son écorce d’arbre, il abritait toute la sagesse de l’Afrique. […] »
(Do Spillers, L’Arbre qui parle, éditions Milan).
1 Variétés tropicales de la vipérine commune, petite plante de 50 à 80 cm chez nous.
2 Plante qui en utilise une autre comme support, au lieu de pousser en terre.
3 Un brin de paléobotanique n’est pas pour faire peur à notre Jardinier.
4 Un nombre étonnant de plantes de l’Eden du Voyageur proviennent de régions tropicales.

5 Un Jardinier historien, même Carl von Linné n’aurait pas trouvé où le ranger dans sa classification !

samedi 5 août 2017

Quelques pas à l'Eden du voyageur avec Do Spillers (2ème partie)

Dès l’entrée de son Eden du Voyageur, en peu de mots, notre Olitor fabulator (« Jardinier conteur ») entraîne notre petite troupe de visiteurs sur un drôle de toboggan temporel.

Il y a 110 000 ans, voici qu’une armée de glaciers déboule jusqu’au sud de l’Europe.  Un froid sibérien remplace le climat tempéré doux de la période interglaciaire qui précède ! Au passage de ce rouleau compresseur glacé, les reliefs sont bouleversés, la plupart des espèces vivantes sont impitoyablement éliminées. Une vague de froid de plus de 100 000 ans, pensez !… Et le thermostat ne remontera qu’il y a 12 000 ans.

La végétation n’a pas aimé.  Seules quelques plantes ont trouvé le moyen de fuir.
Certains soirs, le vent dans les branches chuchote que certaines ont réussi à revenir. Et – pouvoir magique des mots du Jardinier ! – sous nos yeux, la végétation se met en mouvement pour repeupler la toundra que ce long hiver avait laissée : 400 mètres par an pour la forêt, 1 km par an pour les autres plantes. Oui, les plantes ont migré, comme l’avaient fait, à l’époque, les Homo sapiens de la grotte de Lascaux et leurs voisins de palier, les Néanderthal. S’adapter ou disparaître !
De retour avec nous au 21e siècle, le Jardinier d'aujourd’hui se souvient. Comment il a dû, il y a plus de 30 ans, se mettre d’abord à l’écoute du lopin qu’il venait d’acheter. Bizarrement, pour y planter son jardin rêvé, il fallut d’abord arracher sans pitié : car, au pied des grands pins qui envahissaient le domaine, rien ne pouvait pousser. Ensuite, s’entendre avec le climat particulier de l’île, se mettre au service du terrain, lui offrir des haies arbustives pour le protéger des vents, créer des massifs de plantes qui s’arrangent entre elles. Favoriser les rapports de bon voisinage pour que celles-ci profitent de l’ombrage ou des qualités dispensées par les cousines d’à côté1
Au moyen d’un paillis d’écorces semé sur toutes les zones nues, arriver à préserver le sol du dessèchement en utilisant le moins d’eau possible pour l’arrosage. Il faut dire que le Jardinier voyageur n’est pas revenu ignorant du sud Sahara et de la steppe aride du Sahel où l’eau – quand il y en a – est plus précieuse que l’or. Ce n’est pas avec les arroseuses de pelouses d’Amérique du Nord ou avec l’irrigation des cultures du maïs en France qu’il a appris à gérer l’eau2 !
1Les adeptes de la permaculture n’agissent pas autrement !

2Le maïs est la plus gourmande des cultures irriguées en France. Les Etats-Unis, champions de la consommation d’eau (plus de 250 litres par personne et par jour) en utilisent la plus grand part pour l’arrosage de pelouses !